La vérité de l’arbre

2018/04/12
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Sincèrement, je n’avais pas anticipé les réactions que pouvaient susciter la sculpture “La vérité de l’arbre”. Sans doute parce que le dessin original, représentant cette hache renversée laissant place à un arbre, avait été massivement diffusé à partir du 9 avril 2017 sans en provoquer aucune de la sorte. Et sans doute parce que j’avais sous-estimé la capacité des œuvres artistiques, surtout de cette ampleur, à générer des interprétations et ressentis différents, des émotions particulières. Ça a été le cas, ces trois derniers jours, y compris chez des gens que j’estime et j’apprécie. J’ai donc moi-même ressenti le besoin d’expliquer comment je lisais et ressentais cette œuvre d’art, et l’intérêt de son inauguration maintenant, un an après la journée du 8 avril qui permit le désarmement d’ETA par la société civile du Pays Basque.

TxetxTxetx Etcheverry, artisain de la paix et membre de la fondation Manu Robles-Arangiz

Dans tous les cas, les explications du Maire de Bayonne et Président de la Communauté d’agglomération Pays Basque Jean-René Etchegaray et de l’Artisan de la Paix Michel Berhocoirigoin situent parfaitement l’esprit et l’intention de cette œuvre et de son inauguration ce dimanche 8 avril 2018 à Bayonne. Cela ne prête d’après moi à aucune confusion, et j’invite tout le monde à les lire pour se faire son propre jugement.

Le temps de toutes manières aidera à faire la synthèse des différents ressentis et à dissiper les malentendus.

C89TC6UXsAEDjD3Déjà le 8 avril 2017 

Je me souviens il y a à peine un an des polémiques et malaises que suscitaient le fait même d’organiser un rassemblement populaire, sobre et solennel, l’après-midi de la journée du désarmement, ce fameux samedi 8 avril 2017. Les interprétations et procès d’intention les plus divers avaient là-également émergé de plusieurs côtés : cela allait être une apologie d’ETA, une fête, une romeria, une insulte aux victimes, une négation même des victimes. Certains de nos interlocuteurs nous avaient dit qu’ils continuaient à soutenir notre démarche, mais qu’au vu de ce genre de réactions, ils ne pourraient pas assister au rassemblement du 8 avril. Nous l’avons tout à fait compris et respecté leur absence dans ce moment précis. Nous l’avons même écrit dans notre manifeste lu en 4 langues ce jour là : “Le désarmement est bien notre journée, parce que nous l’avons réfléchi, que nous l’avons partagé et mesuré. D’autres que nous l’ont fait Et ont décidé de ne pas être ici, parmi nous, Nous les considérons avec respect, nous les reconnaissons. C’est aussi à eux que nous nous adressons.“.

Les mois ont passé, et les images de cette foule de la place Paul-Bert se sont imposées dans leur sens réel : un rassemblement populaire pour appuyer sans ambiguïté le chemin sans retour vers la paix, pour dire qu’il fallait continuer à marquer des pas sur cette voie là, notamment sur les questions des prisonniers, des victimes, de la réconciliation et d’un nouveau vivre-ensemble en Pays Basque, et qu’il fallait que les 2 États y contribuent également. Si demain, quelqu’un essayait de justifier une reprise de la violence au nom du peuple basque, au nom de notre société d’Euskal Herria, nous saurions lui opposer ces images et ce qu’elles signifient.

Le sens de la hache

C’est également le sens profond que je donne à cette sculpture “La vérité de l’arbre“. Tout d’abord parce qu’à mes yeux, la hache est le symbole de la force, de la violence. Elle n’est pas le logo de ETA, qui est composé de deux éléments, une hache (symbolisant l’utilisation de la force, de la violence) et un serpent (symbolisant la stratégie, la politique). La hache en elle-même était utilisée comme le symbole de la résistance armée, de la légitimité de la violence politique dans les diverses expressions politiques de ces décennies troublées : sous le franquisme comme pendant la grande vague du rock radical basque ou des groupes très populaires et engagés comme Kortatu et Negu Gorriak faisaient leur ce symbole de la hache, que des dizaines de milliers de jeunes basques du sud et du nord ont porté sur leurs tee-shirts. Mais ce que tout le monde semble avoir oublié ces jours-ci est que la hache faisait également partie du logo du GAL, groupe para-policier espagnol. La violence avait là comme objectif de frapper ETA et son “sanctuaire” du Pays Basque nord : la hache coupait le serpent.

Pour moi, cette hache renversée dont le manche devient arbre n’a qu’une signification : l’arrêt définitif du recours à la force, aux armes pour tous les camps, afin que la parole remplace la violence, que la vie l’emporte sur la mort, et qu’un nouveau cycle historique privilégiant le dialogue et la démocratie vienne refermer définitivement celui de l’affrontement armé.

8 avril Bayonne +á 15H00

Besoin de renforcer le chemin de la paix

Nous avons besoin de tels symboles, de tels gestes forts aujourd’hui, pour encourager celles et ceux qui s’obstinent à avancer sur le chemin de la paix, malgré un contexte des plus compliqués : car 7 ans après l’arrêt la lutte armée, des prisonniers basques continuent de mourir en prison (comme Xabier Rey, 38 ans, il y a à peine un mois) et leurs familles et proches continuent à risquer leur vie dans ces longs et épuisants voyages provoqués par l’éloignement et la dispersion des prisonniers (pratiquement un accident par mois, dont le dernier ce 2 avril a touché la compagne et les enfants d’Ibon Goieskoetxea, incarcéré à Arles). Le gouvernement français en amorçant dialogue et premiers gestes positifs va dans le bon sens et aide d’après moi les choses à évoluer favorablement. Mais il doit absolument prendre en compte le facteur temps, et accélérer de manière à éviter que de nouveaux drames humains viennent aggraver les tensions et crispations actuelles. Et il doit offrir une perspective globale d’espoir, indispensable à alimenter la dynamique de la paix. Car dans le même temps, le gouvernement espagnol mène une politique de la tension, pédagogiquement catastrophique, en alimentant en Pays Basque les logiques d’affrontements, les visions du passé, en incarcérant des parlementaires et dirigeants pacifiques catalans, montrant par là-même que les stratégies non-violentes, 100 % pacifiques et démocratiques n’auront pas de meilleurs traitements que les stratégies violentes. Faisons un peu l’effort d’imaginer ce qui doit se passer en ce moment même dans la tête de la jeunesse basque, des réflexions et des discussions que tout cela peut générer.

La paix globale et durable est loin d’être acquise, beaucoup de travail reste à accomplir, et des gens de toutes tendances, abertzale ou pas, de droite,  du centre ou de gauche, s’y emploient, dans un contexte difficile, avec deux États ne leur facilitant pas toujours la tâche, voire la leur compliquant beaucoup pour l’un d’entre eux au moins. Nous avons besoin d’accélérer le cours du temps, de créer des moments forts pour rendre irréversible le choix de la paix. Ce week-end était un de ces temps forts, et j’espère bien que l’on s’apercevra très vite que comme le rassemblement du 8 avril 2017, il aura en fait permis d’enterrer encore plus profondément, irréversiblement, le recours aux armes, à la force, et d’ancrer définitivement le choix de la vie, de  la paix et de la démocratie.

Txetx ETCHEVERRY

PS : Je vis depuis 35 ans dans le Petit Bayonne, où est installée cette sculpture. L’histoire même de ce quartier me situe cette statue comme un appel à un renoncement définitif à l’affrontement armé, plus qu’à la seule histoire d’ETA. Dans ce quartier, j’ai connu des réfugiés du coup d’État de 1936 et de la dictature franquiste ; des militants d’ETA, du FRAP, des commandos autonomes anticapitalistes, d’Iparretarrak et d’Hordago, quelques unes des organisations armées qui ont existé en Pays Basque ; j’ai connu les attentats du GAL qui ont fait 9 morts en 2 ans dans ce seul Petit Bayonne ; j’ai connu des manifestations d’une violence spectaculaire, j’y ai parlé avec des amis et familiers de victimes de tous les camps, tués par ETA, par le GAL ou par la police espagnole, j’y côtoie désormais des jeunes adultes qui n’ont jamais connu leur père que dans les parloirs de prisons. Les rues de ce quartier me rappellent souvent ces 80 ans d’affrontements armés sans interruption qui ont fait l’histoire récente du Pays Basque. J’ai vraiment envie que se tourne définitivement cette page là, sans qu’aucun désir de revanche ne viennent menacer l’avenir de nouveaux recours à la violence. Je verrai chaque jour cette statue comme un message adressé à celles et ceux qui, quelque soit leur camp, voudraient s’arroger le droit de recourir à nouveau à l’affrontement armé pour régler des problèmes politiques, sociaux ou écologiques. Je l’utiliserai ainsi dans le travail quotidien que je mène auprès des secteurs les plus divers, dans cet effort chaque jour renouvelé d’argumentation pour la non-violence et la paix.